~ Le petit grain de sable ~

Le petit grain de sable n'était pas au mieux.
La mine triste vissée sur la grande bleue,
Il voyait passer ses jours, pareils en tout point,
Son regard vitreux et perdu sur le lointain.

Qui accepterait d'être un petit grain de sable,
Entassé et étouffant parmi ses semblables ?
Jadis fort et fier comme le roc qu'il était,
Aujourd'hui sédiment usé par les années.

Balloté par le moindre petit alizé,
Noyé chaque jour par de nouvelles marées.
Soit brulé par les rayons de l'astre solaire,
Soit engourdi par le vent piquant de l'hiver.

Quand rien ne va, que la réussite est volage,
C'est toujours un grain de sable dans les rouages.
Quand bien même en miroir il serait magnifié,
Jamais son image ne serait reflétée.

Le petit grain de sable ne cessait ses pleurs,
Lassant ses compères résignés à leur sort.
Mais lui ne l'était pas et le verbe bien fort,
Il criait tous ses maux et crachait sa rancœur.

Ses plaintes firent écho sur les océans,
Ricochèrent sur les monts, contres leurs versants,
Roulèrent comme l'orage au creux des vallées,
Et nagèrent dans les rus jusqu'aux eaux salées.

La voix du petit grain de sable voyagea,
Se fit entendre ainsi aux quatre coins du monde,
Résonna du ciel aux abysses et au-delà,
Au point que la terre s'éveilla furibonde.

La mère de tout élément ouvrit les yeux,
Sortit lentement de son sommeil séculaire.
Son regard franchit vallées, montagnes et mers,
Cherchant l'origine de ce son disgracieux.

En chemin elle vit l'engeance qu'elle eut créée,
Il y a des milliers d'années et plus encore.
Pensant qu'elle put la laisser seule évoluer,
Le temps d'un interlude suite à son labeur.

Mais la plèbe va bon train si elle n'a de frein,
Et la terre étouffait sous son poids assassin.
Piétinée, estropiée, mutilée, asphyxiée,
L'œil plein de rage elle finit par le trouver.

"Est-ce toi qui hurle ton spleen de par les mers ?
Oui c'est moi répondit le petit grain de sable.
Est-ce pour cela que tu es si en colère ?
Non, le cœur de mon mal est bien plus méprisable".

"J'ai perçus ta plainte, mais j'ai beaucoup à faire.
Ma confiance aveugle m'a mené en enfer.
Ma trop grande inaction me conduit à ma perte,
Il est temps à présent de faire place nette".

Le petit grain de sable était empli de doutes,
Et se sentit plus abandonné que jamais.
Il la vit s'éloigner et reprendre sa route,
D'un pas assuré et plus que déterminée.

C'est alors que le chambardement commença.
Durant toute une lune la terre gronda.
Crachant sa colère par les volcans brulants.
Noyant des ses larmes le poison suppurant.

De ses cris jaillirent typhons et vent hurlants,
Qui ravagèrent l'humeur sur son dos pliant.
Elle s'apaisât enfin au soleil levant.
Et ainsi purifiée s'endormit lourdement.

Au réveil elle se sentit plus que vivante.
Son beau visage détendu était changé.
Inspirant, remplissant sa poitrine opulente,
Redressant son échine; elle était libérée.

Et elle se souvint du petit grain de sable.
Elle le chercha bien que ce ne fut facile.
Sa colère l'avait rendu méconnaissable.
Elle se redécouvrit le cœur bien fébrile.

Au seuil de l'abandon enfin elle le vit.
Sur un tapis de sable noir elle fit halte.
Tel un ersatz d'or dans un champ de basalte,
Il survivait; faible lueur à l'agonie.

"Enfin je te trouve lança la Toute-Mère.
Sais-tu le temps que j'ai passé à te chercher ?
Qu'est-il arrivé à ce joli bord de mer,
Que j'ai vu lorsque nous nous sommes rencontrés ?"

"Tu es la Toute Puissante, où est ton savoir ?
Ne te souviens-tu pas du grand chambardement ?
As-tu oublié ta rage et ton désespoir ?
As-tu oublié cet anéantissement ?"

"Il ne reste plus rien de vivant ici-bas.
D'aussi loin que le vent emporte mes questions,
Il ne ramène jamais plus qu'un souffle froid.
Alors je reste seul et sans plus d'illusion."

"Comment se fait-il alors que tu sois ici,
Si j'ai subtilisé la vie à toute chose,
Si j'ai porté tant de coups, fait tant d'ecchymoses ?
Comment se fait-il que tu respires la vie ?"

"Capricieuse est ta mémoire, ou bien sélective.
Ce n'est pas ton premier essai, tu récidive.
En d'autres temps déjà fortement tu grondas.
En d'autres temps déjà le néant tu créas."

"Tu dois te remémorer que quoi que tu fasses,
La vie aura toujours une nouvelle grâce,
Dispensée par le Tout Puissant Père Univers.
De la destruction naîtra une nouvelle ère."

"Aujourd'hui est un autre recommencement.
Ton rôle est de guider cette graine naissante,
D'accompagner cette frêle vie survivante,
De lui donner la force d'aller plus avant."

Une résurgence du passé la frappa :
D'antiques réminiscences d'apocalypse,
Puis une étincelle de vie qui s'alluma,
Telle le soleil renaissant après l'éclipse.

La grande Terre se souvint de son devoir.
Dans ces souvenirs elle perçut son destin :
Engendrer de nouveau bien qu'elle eut tout éteint.
Et le petit grain de sable était son espoir.

Elle se pencha sur cette petite vie.
Dans un souffle elle expira une douce bise,
Qui le souleva, le caressa, le couvrit,
Et le déposa sur les vagues des eaux grises.

"Tu as tout souffert et pourtant tu as lutté.
Tu périssais mais tu avais la volonté,
La force de créer une nouvelle chance,
De te forger ta toute nouvelle existence."

"Maintenant je me remémore mon destin :
Tant que je survive, perpétuer la vie.
Et recommencer ainsi malgré sa folie,
Rêvant chaque jour à de meilleurs lendemains."

"Je vois à présent devant moi une lueur,
Un grain au désespoir devenir une graine.
Va et essaye de corriger mes erreurs.
Va et laisse toi vivre ton propre destin."

Sous le regard bienveillant de la Toute-Mère,
Il se laissa aller à une rêverie.
S'endormant ainsi et le cœur enfin guéri,
Il sentit l'eau et le sel pénétrer sa chair.

Il se muât en de multiples particules,
Se rependant dans les eaux sombres des abysses.
Voici que par un souffle, une bise, une esquisse,
Naquirent donc des fragments de vies minuscules.

Ainsi, le petit grain de sable n'était plus,
Que le témoignage d'un monde révolu.
De sa morne existence sans la moindre joie,
A jaillit l'essence d'une nouvelle foi.


Micky

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